Capitaine, mon Capitaine !

En ce jour de fin des voeux, sous ce ciel gris et ce froid intense, sous cette pluie cinglante courbant l'échine, je m'installe à mon bureau de directeur. Les murs et le mobilier sont restés les mêmes et au travers de cette porte en bois rouge vitrée, les grands platanes dressent leurs doigts effilés vers le ciel en prière suppliante. La cour est restée la même: vide, silencieuse sans les enfants enfermés dans les classes qu'un néon blafard assaille de questions. De mes mains, je caresse le sous-main du bureau.  Il y a un "je ne sais quoi", une sensation étrange. Tu es là. 

Combien de fois as-tu vu ce que je regarde? Combien de fois as-tu ouvert cette porte ?  Combien de fois l'as-tu fermée ? Combien de fois as-tu rempli ces enquêtes interminables et ces papiers inutiles d'une administration trop lointaine, te demandant à quoi cela pouvait-il servir ? Combien de fois as-tu joué le rôle de directeur qu'on attendait de toi? Combien de fois t'es-tu senti seul ?

Deux décennies nous séparent et mon tour viendra à laisser cette place. Un autre viendra et je partirai moi aussi. C'est le cycle de la vie, celui qu'on enseigne, celui qu'on oublie. Mais le temps fait son oeuvre sur notre corps, sur nos pensées. Un jour, je partirai, vois-tu ?  Le temps est assassin. Restera de moi, comme il reste de toi, des souvenirs par milliers, heureux j'en suis certain,   dans le coeur de ces enfants, bien trop vite parents. 

Alors, mon cher Guy, lundi matin, en ouvrant la porte du bureau, je verrai face à moi,  dans le fauteuil de nos vies: ton visage, tes lunettes et ta barbe. Je te salue "Capitaine Haddock".     

    

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