Louis fait découvrir le violon à sa classe.

L'histoire que je vais vous conter m'a été rapporté par l'enseignante du Cm2. Bien entendu, à la lecture des lignes qui suivront vous ne pourrez que constater la véracité du déroulement et des dérapages qui s'enchaînent. Je précise que Valérie, l'Avs de la classe, a rajouté des détails croustillants difficilement incompréhensibles, tellement elle riait... Enfin, c'est l'enseignante, elle-même, qui m'a sollicité personnellement afin que je rédige cet article. "Tu sauras quoi écrire..." déclaration courte et concise mais qui m'oblige à relever le défi. Je dois reconnaître que mon imagination est bien malade. Mais ça, tout le monde le savait...

 Il est loin le temps où notre petit Louis, intégrant le cours préparatoire à l'école, apportait son violon, bien trop grand pour lui. Revient en moi, la photo de cet enfant, sur la pointe des pieds afin de lire la partition du chevalet pendant que la maîtresse, une flûte à bec soprano à pleine bouche, lorgnait sur les notes. Le sol était encore tout tremblant et le dièze n'avait pas de bémol dans l'exécution. 

Puis le temps a passé et Louis, tel Ingres pour son violon, progressa dans la lecture, l'exécution et l'interprétation. Il a bien grandi et le voici en classe de Cm2, le violon à la main et l'archet dans l'autre. Mais le petit enfant balbutiant les pe,pa,po,pi du CP maîtrise son sujet à merveille. 

Connaissant la difficulté et l'art d'enseigner, notre enfant prodige s'adapte à l'auditoire. Entre affiches, exposé et vidéos pour varier les approches didactiques, Louis encense son violon. Le public suit, la maîtresse apprécie. Quelques morceaux célèbres délivrés de ses mains expertes et Louis régale ses camarades. Sophie (nous appellerons Sophie la maîtresse afin de garder son anonymat) applaudit et acquiesce du chapeau pour un tel talent. Malheureusement, entre cette dernière vidéo et son exécution en apothéose, l'élément déclencheur est un  déclic. Louis, en toute honnêteté souhaite élever le niveau musical de la classe par un morceau classique d'Offenbach, "Orphée et la descente aux enfers".

Malheureusement, peu de gens connaissent Offenbach et encore moins Orphée et la descente aux enfers, quant au galop infernal interprété au château de Versailles en 2011, cela n'est que pure plaisanterie d'intellectuels qui ne rient qu'entre eux. Hélas, ce célèbre morceau inconnu a été repris et est devenu mondialement le french cancan que toute la planète nous envie. 

Allez savoir pourquoi, notre Sophie, jusqu'à là, calme, silencieuse et pondérée, appréciant à juste titre toute la démonstration implacable de Louis, s'est-elle, dans un premier temps, rythmée du pied sur le tempo allegro. Puis voyant les danseuses virevolter sur l'écran, elle s'identifie à l'une d'elle. Heureusement pour nos chers élèves, Sophie porte un jean et commence à mimer les froufrous affriolants de sa robe imaginaire. Valérie, au fond de la classe n'en croit pas ses yeux et pose sa main sur ceux de l'élève qu'elle suit, afin de le protéger. Louis, à son violon, rentre en trans et ses doigts frénétiques s'agitent sur le manche. L'archet s'affole, la mentonnière vacille, les chevilles grincent, la volute craque... Sophie ne cesse de faire des va et vient entre fenêtre et porte tout en criant des "iouh iouh" des danseuses qu'elle a rejoint sur scène par l'esprit et le corps. Les enfants catastrophés se sont glissés sous la table tels les petits japonais lors d'un exercice tremblement de terre. Certains pleurent, d'autres crient, les derniers se paralysent.  Valérie guette la porte: "pourvu que le directeur n'arrive pas à ce moment-là ! Pourvu que le directeur n'arrive pas à ce moment-là !" 

Dans toute histoire, il y a une fin. Une chute précisément et tout le monde connait le final du french cancan. Valérie, apeurée, prie comme une Madeleine: "Non, non, Sophie, pas le grand écart. Non, non Sophie, pas le grand écart". (Vous avez remarqué que j'écris deux fois les paroles. Chez les enseignants, c'est une habitude de travail).

Hélas, la chute fut bien réelle et notre Sophie, incontrôlable bondit à la verticale. Ceux qui ont assisté à la scène vous le confirmeront: le temps s'est arrêté et les images ont défilé lentement, lentement. Montant au ciel, Sophie, jambes "écart", redescend vers le carrelage de sa classe. Devant eux, les enfants peuvent apprécier la semelle de sa basket gauche: des hoka précisément. Les bureaux protègent la vision d'une maîtresse se rapprochant dangereusement le sol.

Ne me demandez pas de décrire l'impact. Tout se brouille dans l'esprit de Sophie. Louis, tout transpirant, d'un tel exercice, pose sa tête sur son violon, ferme les yeux et s'immobilise dans un sostenuto. L'artiste et l'instrument ne font plus qu'un. Les enfants ressortent leur tête timidement et recherchent la maîtresse qui a disparu. Deux mains surgissent et s'agrippent à la table de devant. Toute ébouriffée, l'enseignante réapparaît. Se redressant dignement et raclant la gorge pour prendre la parole, elle s'exclame : "félicitations Louis, très bon exposé. Vous jouez divinement bien. Je vous mets 20 sur 20". Ses mains glissent subrepticement dans son dos et descendent. Les coutures ont tenu... 

Un élève lève le doigt : "maîtresse, je joue de la guitare électrique. Je pourrai l'apporter la semaine prochaine..."      

Quant à l'enseignante qui m'a demandé d'écrire cet article, j'espère avoir répondu à sa volonté. 

 

    

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